Et toi, tu te dopes ?

 

Voilà la question qui revient inlassablement quand on explique que l'on participe à des courses de vélo. Et cette question, il faut avouer qu'elle fait mal... A vrai dire, il devient de plus en plus difficile de l'entendre, d'accepter que son intégrité puisse être mise en doute par des membres de sa famille, des amis, des collègues de travail ou même de simples promeneurs sur les bords d'une route de montagne...

Oui, le cyclisme est un sport gangrené par le dopage (le nier serait d'une mauvaise foi totale et d'une bêtise assez extraordinaire) mais NON, tous les cyclistes ne se dopent pas. Ceux qui pensent le contraire n'ont sûrement jamais pratiqué ce sport si dur mais ô combien gratifiant dès lors que la condition arrive. 

Car, pour s'éclater sur un vélo, il n'y a pas de mystère : il faut être en condition. Si c'est pour se traîner et faire l'élastique en queue de peloton, se faire décrocher dès la première bosse, ça n'est amusant qu'un temps... 

Mais pour progresser, il y autre chose que les produits dopants. Il existe même une méthode toute simple qui s'appelle "l'entraînement".  Pour ceux qui n'ont jamais entendu parler de ça, disons, pour résumer, que ça consiste à mettre en oeuvre tout ce qui est possible pour atteindre son meilleur niveau de façon NATURELLE. Définir avec précision ses objectifs, s'entraîner en conséquence, faire plus de kilomètres, s'imposer des exercices parfois contraignants  (foncier, force, puissance, fractionné, récupération...), faire attention à son hygiène alimentaire en privilégiant une alimentation saine et équilibrée (du style remplacer la pizza 4 fromages par une assiette de haricots verts et les profiteroles au chocolat par une orange ou une banane...), ne pas fumer et en ne boire que très occasionnellement et avec modération (on n'est pas des saints non plus !)... Une discipline particulièrement contraignante à laquelle  est obligé de se plier le cycliste s'il a envie de progresser et de se faire un minimum plaisir sur son vélo.

Imaginez dès lors ce que peut ressentir ce même cycliste lorsque, après avoir fait des efforts toute la semaine pour maintenir une bonne hygiène de vie, s'être levé à 7h00 le dimanche matin pour aller s'entraîner par -5° en hiver, et s'être fait mal aux jambes pendant 4h00, reprend le travail le lundi matin et s'entend dire par un collègue, véritable pilier de bar ayant passé son samedi soir à se torcher la gueule au Ricard, que les cyclistes sont tous des dopés : franchement, ça énerve !

Et puis, si on y réfléchit un peu, quel serait l'intérêt pour des cyclistes qui courent pour le plaisir, sans espoir de carrière, qui participent à des courses sans enjeu financier, de prendre des produits dopants ? D'abord il parait que ça coûte très cher, ensuite c'est quand même le meilleur moyen de foutre sa santé en l'air. Enfin j'aimerai bien savoir ou est l'intérêt de gagner lorsqu'on sait que ce n'est pas sur son potentiel que l'on a obtenu la victoire ?

Ne croyez pas que je sois en train de vous dire que le dopage n'existe pas, je vous dis juste que tous les cyclistes ne sont pas dopés. Il me parait important de bien faire la différence entre un coureur qui fait du vélo parce qu'il aime ça, pour son épanouissement personnel, et celui qui en fait pour en vivre. Dites vous bien que les objectifs ne sont pas les mêmes. Et même dans cette dernière catégorie (ceux qui en vivent ou qui veulent en vivre un jour), il serait injuste de dire que tous les cyclistes sont dopés. 

C'est vrai que le cyclisme a une si mauvaise presse que l'on pourrait presque légitimement se poser la question. C'est vrai aussi que s'il a été autant décrié, c'est que l'ampleur du phénomène y est importante et que des preuves ont enfin été apportées. Mais les preuves, on en trouve que si l'on en cherche. Parlerait-on autant de dopage dans le vélo si aucune politique de lutte anti-dopage n'avait été menée ? Et qu'en est-il des autres disciplines ? Y a t'il autant d'efforts déployés pour lutter contre ce fléau ? La réponse, malheureusement, est non.

Car, à une époque où il faut absolument être compétitif, le problème est général, commun à tous les sports et même décliné sous d'autres formes dans la vie en général (Prozac, Guronzan, vitamine C, vous connaissez ?).

Le dopage n'est pas le problème du cyclisme, le dopage est le problème du sport professionnel en général. Dès lors qu'il y a un peu d'argent en jeu, il y a du dopage.

C'est vrai, les pros du peloton, gavés d'EPO, d'hémoglobine réticulée machin-chose, d'hormones de croissance, d'anabolisants et de drogues en tous genre sont aujourd'hui capables de grimper des cols sur le grand plateau à 40 à l'heure, ce qui rend leurs performances totalement surréalistes et ce qui fait qu'en fin de compte, on n'y croit plus une seule seconde...

Mais qu'en est-il des footballeurs payés à coup de millions ? N'ont-t-il pas intérêt à pouvoir piquer un dernier sprint salvateur à la 89ème minute de la finale de la coupe du monde quand leur adversaire en a plein les pattes ? Que sont devenues les légendaires prolongations d'antan où l'on voyait 22 joueurs à bout de forces, saisis de crampes de toutes parts, tirer la langue comme des damnés ? Disparu ! Ces images ont disparu ! Aujourd'hui, les footballeurs sont vraisemblablement capables de sprinter de la 1ère à la 120ème minute... Etonnant non ? Et le pire c'est qu'ils sont désormais prêts à remettre ça tous les 2 jours ! Ne cherchez plus : l'EPO, les stéroïdes anabolisants et les amphétamines sont aussi passés par là.

Et que penser des tennismen, de plus en plus musclés, de plus en plus puissants, de plus en plus résistants... Qui était capable de servir à 200 km/heure il y a 20 ans ? N'y a t'il aucun moyen d'éviter de faiblir lors d'un 5ème set crucial après avoir passé 5h00 à courir comme un dératé en plein soleil et à frapper comme un sauvage dans sa petite balle jaune ? Testostérone ? Nandrolone ?

Et le boxeur, le judoka, ou le lutteur, n'ont-ils pas intérêt à développer une masse musculaire plus importante que leur adversaire ?

Le pilote de formule 1, soumis à une terrible pression à l'intérieur de son bacquet, n'a-t-il pas intérêt à garder son sang froid, à rester lucide, à ralentir son activité cardiaque lorsque, après 200 km de course à près de 300 km/heure, il lui faudra encore procéder à un ultime dépassement ? Facile : un peu de bêtabloquants et le tour est joué ! Au fait, ils sont où les contrôles anti-dopage en Formule 1 ?

Enfin, que dire des athlètes toujours plus rapides au sprint, des marathoniens inusables faisant tomber records sur records, des skieurs de fond soumis à des charges d'entraînement inhumaines, des nageurs qui chaussent du 50 et dont les épaules sont à peine moins larges que l'arc de triomphe ? (et je n'ose même pas parler des haltérophiles et des champions de bodybuilding). 

Alors c'est clair, tout cela n'excuse en aucun cas le fait qu'il y ait du dopage dans le cyclisme. Au contraire, tout cela devrait nous amener à réfléchir et à nous engager vers une tolérance zéro, quitte à ce que le spectacle en souffre !

Et la tolérance zéro, aussi incroyable que cela puisse vous paraître, elle est prêchée par la grande majorité des cyclistes amateurs qui en ont assez des tricheurs, qui en ont assez que leur sport soit décrédibilisé et qui en ont assez d'être suspectés à partir du moment où ils enfilent un maillot et un cuissard. 

                                                        F. PELISSIER