Salut René !


Cette semaine du 15 mars, on ne l'oubliera pas de sitôt. Il est des périodes ou tout s'enchaîne, se bouscule, se trouve entraîné dans un tourbillon morbide. Cette semaine là, deux cyclistes nous ont quitté, un est parti dans le fracas d'une tête écrasant le bitume, à 40 km de son pays d'adoption, Andreï KIVILEV est parti bêtement dans un accident qui aurait peut être pu n'être qu'un fait de course s'il avait porté son casque. L'autre, René REY est parti sur la pointe des pieds, avec discrétion, comme il a mené sa vie.

Nous savions tous quelle était l'issue de sa maladie, alors, bien sûr, nous n'avons pas été surpris, peut être même un peu soulagés de voir ses souffrances abrégées. Nos pensées se sont tournées vers son épouse, sa fille, Liliane et son gendre Daniel. Oui, nous savions, mais nous espérions tous, secrètement qu'il en irait autrement, ce bonhomme là nous a déjà tellement étonné, alors pourquoi pas cette fois encore, une fois de plus ?

René, nous l'avons tous connu sur le vélo, alors comment le dissocier de nos entraînements dominicaux ? Cette silhouette, son allure particulière, ramassée sur sa machine, avec un grand cadre et peu de sortie de selle, à l'ancienne. Il était resté compétiteur dans l'âme, l'année dernière il avait encore une licence, bien que le médecin lui demande un test d'effort, ce qui ne lui plaisait guère. Il nous a surpris souvent à terminer les bosses à l'arrachée, histoire de couper une fois de plus la ligne imaginaire du grand prix de la montagne. Nous en avons limé du bitume avec lui, côte à côte, roue dans roue, à parler de tout, de notre monde cycliste, de ses courses, de son passé, de l'entraînement, de la diététique, lui qui suivait à la lettre une hygiène de vie qu'aucun d'entre nous n'aurait la volonté de suivre. Il s'astreignait tous les jours à sa culture physique, sans en parler vraiment, il trouvait ça naturel. René s'était taillé à la force du mollet un vrai palmarès, une authentique carrière, ornée de nombreuses victoires, s'il n'en parlait que rarement, il aimait raconté des faits de courses, des anecdotes. On se souviendra de sa ponctualité, il n'arrivait jamais en retard et reprenait fréquemment les jeunes ou les moins jeunes aux prises avec des problèmes de montre. Une ponctualité pour la fin de l'entraînement également, l'heure limite, c'était midi, et, au gré des pérégrinations, l'heure pouvait tourner, il se mettait alors devant et forçait l'allure, parce qu'autrement "je vais me faire engueuler par ma femme", surtout que la halte au bureau de tabac s'imposait, pas pour les cigares mais pour "LE DAUPHINE". Quand il arrivait sur la place d'AOSTE, le matin, en fonction du vélo utilisé, on savait tout de suite quelle était son humeur cycliste. Le vélo rouge à garde boue servait l'hiver et n'annonçait aucune bataille à venir ou en cas de pluie, il n'aimait rien moins que de prendre la flotte, cette perspective le rendait également plus véloce. Le vélo jaune, celui qui fut son compagnon dans le critérium du Dauphiné en 1954 et dont une base céda un hiver, rongé par la rouille, puis réparé, présageait une sortie plus rythmé. Son dural, juste verni, éblouissant sous le soleil révélait les joutes à venir et surtout qu'il se sentait en forme, restait plus qu'à trouver une bosse, histoire de mettre la partition en musique. Il chevauchait depuis deux ans un nouveau spade, bleu, avec un équipement moderne, qu'il utilisait parfois mais, bien qu'il soit intrinsèquement plus performant, il aimait son dural et rechignait à s'en détourner, le coeur a ses raisons. L'hiver ou lorsque la météo lui jouait  des  tours, il faisait le parcours à la vue des nuages, du brouillard qu'il fuyait, des routes givrées. Il nous arrivait de prendre les choses en main, mieux valait alors ne pas sa laisser piéger par une route non carrossable ou des prévisions horaires fantaisistes, il ronchonnait alors et imaginait des solutions de repli. Il est une chose qui m'a toujours bluffé chez René, c'est son insensibilité au grand froid. Alors que tout le monde grelottait de froid aux pieds, lui n'enfilait que rarement des sur chaussures, inversement, pour qu'il dénude les jambes, la température devait excéder les 28° C.
Connaissant son caractère soupe au lait, Daniel, qui nous entraîna cinq ans, se faisait une joie de le faire hurler, en roulant sur des routes enneigées, en empruntant un itinéraire dénué de toute déclivité ou en attaquant sur le plat alors que René n'attendait que la montagne pour lui faire payer, en minutes son zèle de rouleur. Daniel est sans doute le plus gamin d'entre nous.
Il fallait les entendre tous les deux se disputer bruyamment alors que les autres riaient de leur discorde feinte.
Sur le vélo, habituellement, les cyclistes se tutoie. Nous disions "vous" à rené. Sans doute une marque de respect.

Passionné, il l'était assurément, et lors des courses organisées par le club, on le voyait, souvent dans les bosses, là ou la bataille est la plus belle, promener sa silhouette.

Voilà, ce ne sont que quelques souvenirs inspirés par le plaisir égoïste que nous avons eu à le côtoyer, quelques mots pour le remercier de nous avoir transmis sa passion, quelques bribes de nos vies cyclistes et sans doute quelques regrets de ne pas avoir profité plus intensément de quelqu'un d'exceptionnel, au sens premier du terme.

Alors, c'est sur, nos prochaines victoires seront pour vous, M. REY !